Ouest Torch'

Ni Dieu ni maître

Il n’est jamais trop tôt pour s’intéresser au monde et faire des choix politiques.
Nous avons rencontré un enfant de dix ans qui nous parle de sa vision de la vie.
Prenez-en de la graine !

Vagabondage

On m’a dit que tu étais anarchiste, peux-tu me raconter ce que c’est pour toi l’anarchie ?
L’anarchie, c’est une forme de désorganisation, mais c’est pas n’importe quoi. L’anarchie, c’est que personne n’a de pays, y’a pas de frontières, on n’a pas besoin d’avoir une nationalité. Pas de régions, pas de départements, sinon après, ça crée de la jalousie. Nous, on n’a pas de président, tout le monde est à égalité, il n’y a pas de roi ou de seigneur ou de pape. Il n’y a pas de maître à nous commander, on est indépendants.
Donc, par exemple, tes parents ne te commandent pas ?
Déjà, si tu dis à quelqu’un de faire quelque chose, c’est pas du tout anarchiste. Mon père, il me dit pas de faire quelque chose, mais on va dire qu’à un certain âge, si on te commande pas, on peut faire n’importe quoi. Dans la famille, tout le monde est anarchiste, à part mon frère, il s’en fiche un peu. Mais y’a pas d’obligations, les rapports de force, y’en a pas.
C’est quand même bien une famille où y’a pas de rapports de force.
Oui, c’est bien. D’abord, j’ai le droit de faire ce que je veux. J’ai le droit de partir quelque part, aller chez des copains sans avoir de problèmes.
Justement, ils en pensent quoi tes copains ?
Ils disent que l’anarchie, c’est la désorganisation. Moi je dis que c’est dans les deux sens du terme. Y’a un sens où c’est n’importe quoi, et un autre sens où c’est bien. L’école et la famille, c’est complètement deux mondes différents. Y’a un monde où c’est plus calme, et l’autre, l’école, où c’est pas du tout calme. L’école, je décrirais ça comme une dictature où tu dois apprendre, obligé d’apprendre. À la maison, pour moi, c’est pas vraiment une démocratie, mais c’est un endroit où tu n’es pas seul, où t’es pas commandé, tu peux faire ce que tu veux, t’es libre.
Tu imagines de continuer des études, d’aller au lycée, à la fac, ou tu as envie de faire autre chose ?
Ce que j’aimerais faire, c’est être libre de construire ce que je veux, quand je veux. J’aimerais faire ingénieur, mécanique, beaucoup de choses, parce que moi, j’aime bien construire, faire de nouvelles choses. L’argent, ça ne m’intéresse absolument pas et j’espère que tout va changer.
Tu te souviens de ta première manifestation ?
Ma toute première, c’était contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il y a très longtemps, à peu près 5 ou 6 ans. Je me suis intégré dans des groupes, comme ça je peux discuter avec des gens, de ce qu’ils pensent de l’aéroport. Moi, je pense que c’est un projet inutile, qu’on paye un aéroport qui servira à rien du tout. Et en plus, ça va polluer. Je pense qu’il ne se fera pas cet aéroport. C’est n’importe quoi, ils vont dépenser je sais pas combien de millions dans les troupes de CRS, au moins 1 500 ou 2 000 CRS pour dégager 300 personnes ! Ça me fait rigoler. Moi, je pense qu’il faudrait d’abord détruire le capitalisme, et aussi détruire le nucléaire, qu’il n’y en ait plus.
C’est quoi le capitalisme ?
Déjà, il y a l’argent, y’a beaucoup de trucs dans le capitalisme. Y’a l’argent, y’a l’immobilier, les promoteurs immobiliers… On n’est pas trop pour que toutes les maisons soient payantes. Y’a aucun terrain qui est gratuit, c’est toujours cher… On peut pas vivre où on veut.
Y’a d’autres trucs qui te révoltent, pour lesquels tu as envie de te battre ?
Oui, contre le nucléaire, c’est hyper dangereux. Quand tu vois les centrales nucléaires… Flamanville, c’est la centrale qui a une fuite, c’est le pire du pire. Ça sera presque Tchernobyl. À Tchernobyl, ils ont essayé de faire un réacteur automatique, et après, ils pouvaient plus le contrôler, ça a explosé. Le nucléaire, je dirais qu’il faut arrêter. Avec toutes les bombes nucléaires qu’on a, on pourrait carrément détruire la planète entière.
Et il paraît que tu fais des tags aussi ?
J’aimerais en faire, mais le problème, c’est que si on te voit… c’est limite, limite… Mais je pense que les CRS me prendront pas, avec mon âge, ils me prendront pas, c’est sûr. Si je leur dis pas où j’habite… Normalement, la garde à vue maximum pour les mineurs, c’est 12 heures.
Donc, t’es capable de supporter douze heures de garde à vue, ça ne te fait pas peur ?
Non. Je dirais n’importe quoi. Pour les numéros de téléphone, je dirais que je sais pas, c’est la meilleure technique. Que j’ai un trou de mémoire, que je me rappelle plus depuis longtemps parce que j’ai pas bien révisé, c’est le meilleur moyen.
Et tu crois qu’ils te relâcheraient tout seul ? Ou tu t’enfuirais ?
C’est impossible de s’enfuir puisqu’on est « à vue ». S’évader de garde à vue, c’est chaud, parce que y’a quelqu’un qui nous regarde. D’où le nom garde à vue.

Propos recueillis par Ma Dalton

illustration : reiser

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