« Z’ont quand même une mentalité spéciale, ces Amerloques ! » a gueulé dans le combiné la voix de ma mémé du Nord.
C’était un radieux matin de novembre. Nous venions d’apprendre la victoire de Donald Trump, et la pauvre était comme tous les sondeurs et journalistes : elle n’avait rien vu venir. « Mais alors, j’ai répondu, à ce compte, mamie, les Hongrois, les Autrichiens ou les Français ont eux aussi une mentalité spéciale ? Tu sais bien que non. L’épidémie de nationalisme et de xénophobie qui se répand dans les démocraties capitalistes ne doit rien à de supposées « mentalités », qu’elles soient cowboy-macdo-coca, TF1-cassoulet-pinard ou bière-frites-tuning. Elle doit en revanche beaucoup… à la gauche !
– # ! xwydpchrrffFF ! @, elle a commencé.
– Hop-là, mémé ! Pas la peine de monter au plafond ! J’accuse pas tes copains du NPA. Seulement la gauche Tina (There is no alternative) ; celle des gens responsables, des Schröder et des Bill Clinton : la gauche qui a théorisé comme « troisième voie », voilà vingt ans, qu’il n’y avait pas d’alternatives à la mondialisation néolibérale. Celle qui a repris le pouvoir aux Reagan et aux Thatcher pour en poursuivre et en amplifier les œuvres : « libération » des marchés, privatisations, partenariats publics-privés, toutes ces foutaises que, de Tony Blair à François Hollande, la gauche de droite a appelé « modernisation », et qu’elle a contribué de manière décisive à constitutionnaliser à l’échelle d’un continent.
– Ah ! Le Pen, un rejeton de ces couilles-molles ! a-t-elle trompeté de plus belle dans le combiné. C’est exactement cha ! Comme en 84 : le FN f’zait sa première « surprise » aux élections, juste un an après qu’chés socialos, y-z-aient retourné leur veste pour la parenthèse d’la rigueur. La parenthèse, qui disaient !
C’était le constat formulé par la philosophe Chantal Mouffe, il y a plus de dix ans, dans un ouvrage qui vient de connaître sa première édition française*. L’universitaire y relevait que les récents succès de partis populistes de droite s’opéraient « dans des contextes où les différences qui existaient entre les partis démocratiques traditionnels [étaient] devenues de plus en plus insignifiantes ». Dans le vide créé par l’absence de confrontation entre des projets politiques différents, nous disait-elle, prospèrent des partis adoptant un discours « anti-establishment », opposant le « peuple » aux « élites consensuelles ». Plutôt qu’à une inutile condamnation morale, elle appelait à la revitalisation du débat démocratique par la réaffirmation de l’antagonisme gauche-droite. C’était en 2005, on connaît la suite. Cette gauche couille-molle est aujourd’hui rayée de la carte en Grèce, renversée par sa base radicalisée en Angleterre, mise à mal en Espagne par un challenger radical, désavouée aux États-Unis lors d’un scrutin majeur, et en France lors d’une série de déroutes historiques aux élections intermédiaires.
– Bon. Et qu’est-ce qu’on peut faire ? me demanda mémé.
– Ben ça, j’en sais trop rien.
– Alors c’minçons par laisser crever ch’PS din chés urnes, elle me dit. On verra bin ensuite.
MattDogg
*Chantal Mouffe, L’Illusion du consensus, Albin Michel, 2016